Mainstream de F.Martel - le livre qui plaît à tout le monde

Publié le par S.

mainstream.jpgIle Maurice. Le bout du monde. Le paradis ou pas loin. Et sur quelles notes résonne-t-il ? Black-eyed Peas, James Blunt, Lady Gaga et son Poker Face. Le livre que j’ai entre les mains, Mainstream, prend sens ; une démonstration se fait sans que l’auteur, Frédéric Martel n’ait à moufter : peu d’espace sur Terre échappe à cette « culture qui plait a tout le monde ».


Au-delà de la coïncidence –en est-ce vraiment une ?, y-a-t-il un intérêt à s’arrêter sur les cinq cent pages déjà largement commentées (à retrouver sur la page fb ici) que le journaliste, chercheur et professeur à HEC consacre à l’économie de ce qu’il nomme les "industries créatives" -plutôt qu’ "industries culturelles", expression récusée en raison de son incapacité à rendre compte des changements à l’œuvre dans le secteur de l’entertainment ? Oui, et plutôt deux fois qu’une. Parce qu’outre la richesse de l’ouvrage –l’enquête a été réalisée sur cinq ans, autant de continents et au fil d’innombrables interviews; Frédéric Martel a l’intelligence d’échapper aux trois principaux écueils auxquels l’invitait son entreprise.


1.Sacrifier le mainstream sur l’autel de la culture. Le journaliste aurait pu verser dans l’élitisme et/ou se lamenter sur la menace qui pèse sur le cinéma d’auteur, la musique traditionnelle ou de niche. Ce d’autant que sur le papier, Frédéric Martel en aurait le profil : féru de la chose artistique –il est notamment l’auteur de De la culture en Amérique (Gallimard) ; Français de surcroit ; il constitue un potentiel défendeur de l’exception culturelle et de la culture comme art plutôt que comme marché. Et bien non ! L’auteur résiste à cette tentation de juger le mainstream –s’il lui accorde un génie marketing et une créativité indéniables, il évacue la question de savoir s’il s’agit ou non de "véritable" culture au sens de "high culture", élitiste et opposée à une "low culture", populaire. L’exercice auquel il se livre est bien plus complexe et passionnant. Il s’agit en effet de comprendre comment la production d’une culture de masse, globale, universelle made in USA, a pu émerger, se répandre si largement, et, surtout, quelles sont les stratégies (la guerre du « soft power ») aujourd’hui à l’œuvre dans le monde entier pour parvenir à batailler le monopole états-unien. Ce livre ne nous dira donc pas que Britney, c’est de la m****, Avatar, la fin du "vrai cinéma" -il n’expliquera pas non plus l’inverse. On y comprend plutôt comment fonctionne l’industrie des cinémas américains, latinos, indiens ou asiatiques ; quels sont les grands acteurs de l’"infotainment" –de l’Arabie Saoudite avec Rotana en passant par le Moyen-Orient chez Al-Jazeera ; ou encore comment le géant de l’entertainment, Disney, décline ses contenus sur l’ensemble de ses supports. On y comprend également la façon dont les mêmes acteurs du Sud tentent d’imposer une offre culturelle alternative la plus globale possible –latino, panarabe, panasiatique ou musulmane. On vole donc bien un cran au-dessus du débat de comptoir; c’est bien agréable.

 

2. Succomber au pessimisme. Si l’interrogation inévitable à la lecture du livre de F. Martel demeure celle de la survie des cultures dites « indés », qui ne s’adressent pas à un public de masse, face à la suprématie de celle « qui plait à tout le monde » ; là non plus, l’auteur ne cède pas a la facilité : il ne prédit pas la victoire triomphale du maimstream sur toutes les autres formes de culture.  Au contraire, même pour évoquer la perte de vitesse européenne, le journaliste se fait force de propositions et voit des opportunités de remonter la pente dans, entre autres,  l’exploitation des diversités culturelles internes aux 27 Etats membres comme dans un nécessaire et volontaire changement de mentalité. Alors que certains pleurent la décadence de notre "civilisation", voilà un discours qui fait du bien.

 

 

3. Complexifier un sac de nœuds. Je ne connaissais rien ou presque aux dessous de l’entertainment : je partais donc avec un sacré handicap. Et pourtant. Loin de perdre son lecteur entre les multiples sigles, pays et acteurs cités, Frédéric Martel l’emmène avec lui dans un récit à la première personne toujours fluide, dynamique, souvent drôle. Sont rendus intelligibles, même aux novices, les logiques et fonctionnements de secteurs complexes. Ce n’était pas gagné.


En clair, une fois la 447e page achevée, un mot s’impose : brillant. Mainstream est un livre qui brille par son intelligence, son ouverture d’esprit –en Arabie Saoudite, en Chine, en Syrie comme aux USA, Frédéric Martel garde en tête sa mission de chercheur : comprendre sans juger. Pas d’antiaméricanisme primaire ou de propagande européano-centrée. Pas de posture élitiste ni populiste. Voilà un livre moderne sur la culture –un livre qui devrait parler à tous ceux qui ont grandi en baignant dans le Mainstream, et bien au-delà. Le conservatisme prend ici un joyeux coup de vieux.

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F
<br /> Merci. Je trouve que les bloggeurs lisent mieux les livres désormais que les critiques de livres de la presse papier. C'est une bonne nouvelle. Frédéric Martel.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Voici un commentaire que nous allons garder précieusement :). La puissance de Mainstream vire à l'obsession: nous en voyons des signes partout (chez Uniqlo par exemple). Merci à vous.<br /> <br /> <br /> <br />